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Ce que dit la Colombe à la Rose

 

Extrait du premier Chant,

Adonnée au songe de ta lumière incrée

 

 

 

 

« Debout entre les yeux et leurs prunelles
Sont les limpides morts
Ils regardent la rose spirituelle
Dormir au puits d'enfance
Rose d'ubiquité allant aux larmes
Sous l'arbre aux infinies nervures »
Salah Stétié
L'Autre côté brûlé du très pur
Robert Laffont Collection Bouquins 2009


« La tâche de la poésie n'est pas de se mesurer à la mort
mais selon la poétique de Milton et de Blake de s'ouvrir
ici et maintenant à ce qui existe au-delà de la mort «
Michaël Edwards : « Le Génie de la poésie anglaise »
Les Belles Lettres 2014

 



I
Adonnée au songe de la lumière incréée

 

 

 

 

Adonnée, ô nuit de l'âme, au songe de la lumière incréée
Où veillait l'ange d'outre-tombe à la couronne de cyprès
Et valsaient sur la vaisselle d'or d' astres inconnus
Ces filles aux prunelles de foudre qui élevaient aux nues
Ton âme vêtue de splendeur sidérale et de claire-lumière
Abandonnée à la nuit d'univers et les pieds nus sur l' Éther
Tu cours à cette margelle où l'enfance boit l'eau légendaire
Ô grande âme de mère partie à ta céleste moisson de blés
Vogue sur la nef des anges veillant ton cortège funéraire
Et prends langue avec le dieu d'amour qui a soudain ouvert
Ton oeil à ce promontoire où les dieux naguère s'attablaient !
Loin du cri des furies et bêtes sous les coups des belluaires
Vole nivéale colombe vers le sanctuaire sacré de l'univers
Vole, transparence d'une aile fille de la primordiale lumière
Vers ces tables divines du livre d'or ouvert à tes paupières
Et lis sur son vélin d'éther les pages d'un nouveau mystère !
Oh lys voilé de roses d'une aube qui a vu le retour d'Ulysse
Au seuil du jardin où Orphée aveuglé a connu son supplice
Lys parti sur sa voile de nuages rouges, lis le chiffre oublié
De ta destinée en ces pages qu' un souffle d'amour a révélé !
Ô Rose aux portes du jardin où Orphée a perdu son Eurydice
Vois-tu le soleil devenu noir comme une toile ovale de silice
Où s'ouvrent au val nuptial du soir les sceaux d'Apocalypse ?
Et descends-tu parmi ces grottes peintes de bêtes tutélaires
Aux cris uvulaires fossilisés dans les éthers des âges éculés
Ou cours-tu vers l'étoile brillante du berger au brûlant désert
Qui dans les allées des dieux prît le nom constellé du désir
Vers Vénus qui déesse alanguie parmi les sables séculiers
Appelle les amants foudroyés par la Beauté vêtue de chair ?
11
Et pourquoi t'en aller de la face obscure de l'astre lunaire
Vers Mars aux fleuves exsangues depuis des millénaires
D'où perlent quelques gouttes d'eau à la saumure amère
Ö Toi qui vogues voile de neige sur un vaisseau de foudre
Où vacillent de vastes cirques sous la paupière des nues ?
Oh guidée par l'amer de nos larmes traverses-tu une sphère
De dieux rebelles dissipée en ce grand amas de poussières
Filles errantes d'une explosion d'astre entre Mars et Jupiter
Qui ont vu passer armées d'orgueil les cohortes de Lucifer ?
Où rêves-tu encore sur cette lune de sang, fille de l'éclipse
Eclaboussant de rouge et de noir cette moiteur de nuit claire
Où un ange semble ouvrir le dernier sceau de l'Apocalypse ?
Ô torrents de boue, lie des passions, rivières de sang séché
Jusqu'à ces rives que viennent lécher des démons éméchés
Courez émonctoires et menstrues sur vos fleuves asséchés
Aux ides de l'éclipse solaire et loin des fleuves de l' Eden
Où vont les puanteurs vers leur abîme de feu et d'ébène !
Oh vois-tu depuis ce promontoire d' Enfance souveraine
Descendre la colombe dans la gloire d'une aube sereine ?
Adonnée, ô nuit de Mère au songe de la lumière incréée
Qui sur l' étoile filante de cette nuit d'Août s'est dévoilée
Ainsi t'es-tu évanouie avec le volcan de ton sang sidéré
Dans le silence de tes yeux dormants au pays de l'Amour
Quand sous le linceul de la nuit dévêtue du regard étoilé
Et sur la gloire des nuées jalouses jalonnées de cyprès
Parut soudain l'aube aux rayons dorés de ce grand jour !
Et n'était-ce pas l' Eté, un ciel dont ton âme vint se voiler
Un grand mystère d'éternité qui voulait se révéler ?
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Oh comme rêvaient tes yeux à l'heure de ta mort
Et qui voyaient encore
Prunelles errantes sur les vastes étendues de deux pays
Grandes ailes de phosphore éployées en mer d'éternité
Ô ces yeux cernés d'aube mauve et de célestes abbayes
Guidés par la Colombe de ce grand jour d' Été !
Et moi j'élèverai sur l'autel sacré de ton évanescence
Par les sept sceaux qui voilent l'énigme de l'existence
Et couvrent de murmures l'autel vénéré de ton absence,
Sur ces lèvres écloses au coeur d'une pluie de météores
J'élèverai sept chants d'amour en mémoire de ta mort !
Par les sept sceaux qui gardent le songe de ton éternité
Et sur cette vallée de larmes coulant en mer de sérénité
J'élèverai sur l'autel d'une présence pure
Ces sept chants pour ton retour à l'Azur !
Oh élèverais-je jusqu'à tes lèvres ourlées de neige
Ces sept chants d'amour qui assiègent ma mémoire
Elèverais-je une épopée de l'âme levée à ta gloire ?
Ailée du songe très réel, ô Mère en allée et plus légère
Que le liège au gré des flots vers la rive d'outre-lumière
Sous la parure d'Azur qui t'emporta au seuil de ce jour
Est-ce ton âme qui nous soufflait cet hymne d'amour ?
Et Toi qui rendait ton souffle au seuil de l'autre séjour
T'ouvrant ainsi les portes d'éternité
Médites-tu toujours la Mort comme une Vanité ?
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Ainsi es-tu partie pour cette nuit profonde
Voilant l'averse éblouissante d'une pluie d'or
Voilant l'ivresse des sens aux rivages de Terre
Ainsi es-tu partie pour la nuit de ton mystère
Sur cette traîne évanescente de météores
Qui t'emmenait aux rives d'outre-mort
Vers Persée et son cortège d'étoiles filantes
Vêtue de grains de sable et poussières d'or
Vêtue d'étoiles filantes au coeur de nuage
Ainsi célèbres-tu tes noces avec le cosmos
Avec les dieux veillant sur ton passage,
Ton coeur tissé d'amour et de présages
Et appelé par delà les voiles de la mort
A l'épopée céleste de ton âme candide
Ô traversée parmi les étoiles du Nord
Où apparût la visitation des Perséides !
Parmi les odes qui annonçaient ta mort
Les odes où valsaient tes pupilles d'or
Aux ides de la gloire où vont les filles
De l'aurore habillées des fêtes de Séville
Ayant dormi hors de ton corps harassé
Tu voguais déjà dans ces cieux traversés
De charrois divins aux yeux de sémaphores
Et parmi les grandes odes des constellations
Descendues sur le trône impérieux du Lion
Les Perséides éclairant la Nébuleuse de la Lyre
Ressuscitaient le génie d' Orphée à la voix d'or
Et sa lyre mélodieuse où même Charon s'endort !
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Ô lyre plus vivante que tous les crédos d'école
Air pur de l'enfance où respire notre espérance
Nous conduiras-tu sur l'aile sublime d' Eole
Au temps du poème ouvert à ce songe immense
Ange du silence au choeur céleste qui nous pense ?
Oh prendrai-je une lampe de couleur rouge
Pour contempler la splendeur de ta demeure
Et embrasser le grand triangle de l'Eté
Vega, Deneb et Altaïr et la Constellation
De la Lyre où chantent tant de souvenirs ?
Et verrais-je encore les chevaux rouges
Au feu de Mars, les entendrai-je hennir
Sous la bride d'un dieu très débonnaire
Au passage des filles vives des comètes ?
Ô vêtues de neige et de feu ainsi vont-elles
Dans la nuit parée des soieries d'or de la fête
Et leur magie d' hellébore ou Roses de Noël
Guérira-t-elle dans les nuées fumées du ciel
Cette folie ardente au coeur de notre quête ?
Ô verrai-je ces anges aux boucles étoilées
Ouvrant leurs pupilles de lampes jubilaires
Aux arches constellées d'antiphonaires !
Verrai-je la Chevelure de Bérénice bénir
Cet attelage de feu enchâssé de souvenirs
Où nos chevaux ivres du songe de la Lyre
Courent, une bride d'or sur leur encolure,
Aimantés vers la constellation du Cygne ?
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Verrai-je la Chevelure de Bérénice unir
Nos âmes, nouant telle une corde d'or
Ses cheveux d'ange à cette ancre divine
Où un vaisseau d'amour vint s'ensevelir
Et irais-je sur ces chevaux de neige vers Ur
Où furent scellés les songes d'outre-mort
Bien avant ce grand jour d'été et de brûlure ?
Irais-je sur les berges, où après cent années
La Rose s'en est allée au secret de la Lyre
Qui à ce miroir de larmes est prêt à rejaillir ?
Et n'a-t-il été semé sous ses paupières
Par le dieu des vivants et des morts
Surgi comme houle de haute mer à l'aurore

N'a-t-il été semé comme grain de lumière
Parti sur les antiennes de cet antiphonaire
Jusqu'en l'alcôve de cette aube en prière ?
Ô reverrai-je la rose nouée à ta chevelure
Et ta lumière danser autour de ta sépulture
Et ces antiphonaires des dieux enrubannées
De neige plongeant leurs solfèges surannés
Dans l' abîme ouvert par l'éclat des tonnerres
Les antiphonaires vibrant aux airs voluptueux
Où passaient les dieux enturbannés d'éclairs ?
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Or comme fuyait le feu de ton âme fervente
Gardant longue mémoire du passé
Et vibrait ton coeur dans sa robe de lumière
Mêlée à l'entour des âmes trépassées
A paru sur les nacelles du ciel ce vase d'argile
Où la Colombe vient boire l'eau-vive de l'exil
Et son vol de neige sous l’oeil médusé des aigles
S'élève -clairon silencieux qui déchire les cieux-
Et pose une règle d'or au retable oublié des dieux
Ô poussières vénérables trouverez-vous une aile
Qui vous élève et porte au beffroi de vos lèvres
Ce vase saint de colombe qui médusa les buses
A ce détroit qui saisît la Rose de fièvre et d'effroi
A cette pierre du seuil où parût notre céleste Muse ?
Ô pétrels qui posiez alors vos frêles ailes fourbues
Ces larmes vous ont-t-elles confondu avec l'urubu ?

Or comme s'enfuyait le feu de ton âme fervente
A surgi ce songe d'aïeux à leurs vaisseaux d'exil
Où gît, sigillaire éclair imprimé à un vase fragile,
La Colombe versant un flux d' images et symboles
Onde sonore du poème et aumône de foudre ardente!
Ô cette joie et son cortège de voix comme une obole
Surgie à cette main d'argile verte en l'aube rubescente
Où le dieu d'amour ouvrant soudain sa paume aimante
Recueillait tous ces éclats brisés d' immémorial miroir !
Un miroir irisé comme l'arc-en ciel au dessus de la mer
Né des larmes de l'exil et du soleil de l'enfance
O Miroir antique irisé de grandes images de Mère
Où devisaient naguère les dieux
Et passe soudain un cortège d'astres en transhumance
Vers les écloseries des nouveaux cieux !
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